lundi 1 septembre 2014

Tibiran


le retour

Je ne vous l’ai pas dit ? Je suis la réincarnation de Babonius aquaeductae, un ingénieur romain assez renommé ma fois, féru d’hydraulique gravitaire. Le gravitaire c’est quand les pompes et les tuyaux sous pression n’existaient pas, et que la surface de l’eau était libre. Il existe des formules, qui donnent le débit en fonction de la surface mouillée, et de la vitesse de l’eau. Comme dans les canaux de Provence tout autour d’Arles. La vitesse de base, c’est 1 m/s. Mais elle varie en fonction du frottement des parois, c’est mieux quand elles sont lisses évidemment, d’où le béton de tuileau qui revêt les parois internes des canaux romains. Et enfin en fonction de la pente. Dans notre cas l’idée est d’avoir la pente minimale pour que ça coule, pour diminuer au maximum la longueur du canal (et ainsi le travail des esclaves). 

voici le site sur la photo aérienne : la parcelle piétinée au centre, l'arbre en haut cache le captage
de l'autre côté au nord, on devine le lavoir entouré d'eau
à droite du moulin,  l'exutoire de la résurgence actuelle forme le ruisseau de Tibiran. 
Notre canal (perché) repartait, lui, au sud !
vers l'aval au sud, il n'y a plus qu'à retrouver le tracé !

Ma réincarnation était silencieuse depuis un moment, voilà qu’elle se réveille avec vivacité, va savoir pourquoi, tellement qu’elle m’ordonne (impérativement) de me rendre à la source des eaux de Saint-Bertrand de Comminges. Toutes affaires cessantes ! Je n’y suis pas allé depuis trois ans, et ne me rappelle absolument pas où c’est, à tel point que je n’arrive pas à repérer l’endroit sur la photo aérienne !


Le plus simple est d’y aller, pas de problème, sauf arrivé sur place, où est-ce ? Je trouve bien l’église, la mairie, mais ça ne me donne rien ! Un repère surgit à propos (de mon moi profond) : il y a tout proche un lavoir, alimenté par une source. Une résurgence très typique, très belle, peut-être un autochtone saura-t-il me renseigner ? Je tombe sur le seul être vivant du lieu, il sort sa voiture, je lui demande le lavoir ? -"Depuis l’église, en face, c’est tout droit jusqu’à une petite place avec un calvaire ! Là, il faut tourner à gauche" ! Effectivement, je retrouve la mémoire une fois rendu sur place. Je prends mes repères, avec le GPS, et retrouve bien au retour l’emplacement sur la photo aérienne.

L’ambiance du coin, est la présence d’affleurements calcaires partout. Vous savez que les grottes de Tibiran sont aussi célèbres que celles de Gargas ? Grosse différence, elles sont fermées au public, mais contiennent des traces de mains avec des doigts coupés, comme dans la grotte visitable. Leurs entrées sont à quelques centaines de mètres l’une de l’autre ! Encore une fois, nous sommes dans le karst, et les dérivations des rivières dont l’Arize se baladent souvent en profondeur. Pour ressortir dans les points bas.

Je retrouve mon point bas, puisqu’ici au pied d’un surplomb (conforté par un mur romain) existe une source, qui coule assez fort en cette fin d’été. Elle alimente le lavoir. Et une petite mare transparente, due au fait que l’écoulement est bouché à l’aval : un moulin turbinait cette eau, je ne le vois pas à cause de la végétation, mais il figure sur les vues aériennes.


surplomb du lavoir

















en bas : le lavoir, le mur de soutènement à gauche

















la résurgence naturelle

















vue vers l'étage du canal un peu plus haut, la fuite est à gauche

Qu’ont fait les romains ? Mes ancêtres hydrauliciens ont percé une tranchée dans le bas de la colline, et pour que les côtés tiennent verticalement, ont revêtu chaque côté de pierres calcaires en gros appareil. La tranchée est pleine d’orties, tant pis, je rentre dedans, pour retrouver la source et le lavoir. Personne n’y est venu depuis longtemps ! Je suis alors au rez-de chaussée si je puis dire.

Je vous ai déjà raconté l’histoire, mais je recommence, m’apercevant que ne vous ayant montré que peu de photos, vous n’aviez pas les cartes en main pour bien comprendre :

Mes ancêtres ont court-circuité la résurgence en la captant au-dessus de sa sortie naturelle : ils ont introduit verticalement un puits carré de marbre, et par le jeu des vases communicants, l’eau (qui provient de l’Arize beaucoup plus haut) est remontée dans ce puits artésien artificiel de 3 mètres, atteignant une altitude suffisante, pour dominer le bas-fond. Ensuite, après 4,5 Km de trajet, elle aboutit à Saint-Bertrand au-dessus des thermes de la ville basse.

Du coup, par une espèce de magie, l’eau captée sort de terre sous une dalle qui protège les gens inattentifs du risque de mettre les pieds dedans. File directement dans un canal constitué de dalles calcaires côté du vide, et continue par des canaux ; des ponts ; des tunnels. Tout cela a été décrit au XVIIIè siècle, heureusement car aujourd’hui il est difficile de repérer le trajet.

voici les restes du début du canal, en partie haute, sortant du captage au pied de l'arbre
sous la palette, le haut du puits carré, couvert par une plaque calcaire, puis le départ du canal

Il reste quasi intact un morceau du canal sur place, avec un canal de fuite perpendiculaire, permettant, en cas de crue, de faire couler l’eau du haut vers le bas occupé aujourd’hui par le lavoir. Si on remettait les planches dans leurs rainures, cela pourrait fonctionner ! Juste à l’amont, les parois latérales ont disparu, et on distingue au sol un parement parfait pour constituer une cascade, quand le captage est en crue, après les grands orages.

départ du canal de fuite vers le bas-fond à gauche














les rainures des vannes

Pigé ? Il existe deux étages, le naturel que l’on voit encore deux mille ans après. Et l’étage artificiel du haut, encore bien visible, qui a pour origine un simple orifice artificiel de 1m sur 1m, flanqué d’un arbre poussé juste au coin. L’agriculteur a recouvert le tout de palettes informes, ça n’a exprès aucune figure, le but étant de repousser les visiteurs indiscrets. Tout autour, le sol est piétiné de sabots de vaches et gardé par des oies, toujours pour faire fuir les rares initiés.


le canal de fuite à peu près intact

















juste avant le canal de fuite, la cascade due à la rupture de la berge rive gauche



















Voilà la merveille : un captage artificiel quasi intact sous le camouflage !

le canal est au bout en contrebas. S'il fonctionnait encore, les baignoires pour les vaches
seraient inutiles !

Je questionne à nouveau un jeune correspondant de St Bertrand, David P. : il affirme que le captage coule après les gros orages. Je vous l’avais déjà laissé entendre. Il suffit de chausser des bottes.


Il faut vraiment revenir quand il pleut !

proche de l'aval, la seule trace visible, départ de la route de Saint-Martin
l'eau circulait en haut !