dimanche 16 février 2014

énervés de Jumièges

Fils de Clovis

…énervés… !

Il y a un tableau au Musée des Beaux arts que je vous ai réservé pour la fin : au cas où vous auriez des problèmes avec vos parents (je m’adresse aux enfants) croyez que le pire a déjà eu lieu ! Quand on s’inquiète de voir certains gamins brutalisés aujourd’hui, on est loin des sévices des siècles passés ! Fils de prolo, passe encore. Mais fils de Roi, bonjour les dégâts ! Je vais vous raconter la punition survenue aux fils de Clovis, pire qu’une simple taloche ! Même qu’une fessée ! Carrément, on bascule dans la maltraitance !

L’histoire nous est racontée (en peinture) par Evariste-Vital Luminais,  né à Nantes, le 13 octobre 1821 et mort le 15 mai 1896. Je parie que vous n’en aviez jamais entendu parler. Rassurez-vous : moi non plus, il a fallu que je tombe sur son tableau pour m’épouvanter d’horreur.

Je vous passe la biographie de l’artiste que vous trouverez sur Wiki, toujours est-il qu’il manifeste des dons certains pour la peinture, et que ses parents (qui ne lui ont jamais fait de mal) l’envoient à Paris auprès du peintre et sculpteur Auguste Debay (1804-1865). Il n’a alors que 18 ans et suit les cours de Léon Cogniet ( 1794-1865), peintre d’Histoire et portraitiste qui comptera parmi ses élèves Léon Bonnat (1883-1922). Enfin, il fréquente l’atelier de Constant Troyon (1810-1865), peintre de paysage et d’animaux, qui sera son véritable maître.
 


Comment tombe-t-il sur l’histoire des fils de Clovis ? Attendez : Clovis II, pas le numéro 1, le vase de Soisson etc…Je dis bien Clovis II ! Clovis II accède au trône à la mort de son père Dagobert Ier, en 639. Il a quatre ans, et sa mère Nantilde assure la régence jusqu'à sa mort, en 642. La suite du règne de Clovis II se déroule sous l'influence des maires du palais de Neustrie Ega et Erchinoald (ou Archambaud). La résidence royale est alors à Clichy.



En 649, Clovis II prend pour épouse une esclave anglo-saxonne nommée Bathilde (626-680). Achetée à York par le maire du palais Erchinoald, elle est emmenée dans le royaume des Francs pour l’épouser. Mariage d’amour comme vous voyez, trois fils naitront de cette union :




Clotaire III (652-673), qui succède à son père comme roi de Neustrie et de Bourgogne (657-673) ;
Childéric II (653-675), qui devient roi d'Austrasie à la mort de Childebert l'Adopté (662-673), puis roi de tous les Francs à la mort de son frère aîné Clotaire III (673-675) ;
Thierry III (654-691), qui devient roi de Neustrie et de Bourgogne à la mort de son frère

Dans ces conditions, pourquoi la légende des énervés de Jumièges ?
 



Selon la légende, deux fils de Clovis II se seraient révoltés contre leur père durant un pèlerinage de ce dernier en Terre sainte. À son retour, Clovis II les aurait arrêtés et aurait fait (sur la sympathique suggestion de leur mère) brûler les nerfs de leurs jambes. D’où le terme : « énervés » : privés de nerfs. De nerfs ou de tendons des jarrets ? Je cite le manuscrit : « qu’ils seroient coupez aux bras et ainsi rendus impotents ». Ouf, seulement les bras, les privant du port d’armes. Les deux frères auraient été abandonnés sur un radeau, sans gouvernail ou aviron, assistez seulement d’un serviteur pour leurs  nécessitez, au fil de l’eau de la Seine, remettant le tout à la providence et miséricorde de Dieu.. « Sous la conduite duquel ce bateau dévalla tant sur la rivière de Seine qu’il parvint en Neustrie (Normandie).et s’arresta au rivage d’un monastère appellé des anciens Gemièges » (à l'abbaye bénédictine de Jumièges). Ils y sont soignés (sans CHU inexistant à l’époque) et ensuite, guéris ( ?), ils sont « instruits dans la discipline monastique et vie spirituelle ». L’abbaye aurait été pour cette raison richement dotée par Clovis et Bathilde, sans doute émus de leur forfait, et de l’intervention divine y mettant fin. Tout s’arrange et les parents se réconcilient avec les enfants. (et réciproquement). Du coup, l’abbaye prend le nom pour la postérité de l’abbaye des énervés !

Cette légende n'a aucun fondement historique : Clovis II n'est jamais parti en Terre Sainte et est mort à un âge où ses fils étaient trop jeunes pour se dresser contre lui.

Je reviens à notre Evariste Luminais qui gobe cette histoire, et en peint plusieurs huiles, qui décorent notre musée :

« Première pensée pour les énervés de Jumièges, vers 1880, huile sur toile, 41 x 32 cm ». « Etude pour les énervés de Jumièges ; figure au revers, vers 1880, huile sur carton, 36,5 x 48,5 m ». les deux au Musée des Beaux-Arts de Rouen.



Le must étant la grande huile « Les fils de Clovis II, vers 1880, huile sur toile, 190,7 x 275,8 cm ». qui est accrochée à la Galerie d’art de la Nouvelle-Galles du Sud, Sydney. Je me demande ce que font les visiteurs australiens de cette peinture énervante, très normande ? Je vous montre celle du Musée de Rouen : « Les Énervés de Jumièges, 1880. Huile sur toile, 197 x 176 cm ». C’est un gros morceau. La barque rase l’eau froide (et humide) de la Seine, on ne voudrait pas être à la place des fils de Clovis, les jambes bandées ! Et puis, finir moine…le chant grégorien à haute dose… !


Cette peinture est considérée comme le chef-d’œuvre de Luminais

 et fait sensation au salon de Paris de 1880 :

il nous arrive à tous…d’être énervés,

véner

mais…à ce point… !