lundi 1 avril 2013

Prototype B14 / P15N


…la synthèse… ?

Quand on cherche sur  internet quoi que ce soit, l’essentiel est d’indiquer les mots-clé justes, sinon on n’obtient pas le résultat escompté. Le mot clé, c’est :  chenille P15N. J’ai depuis deux ans tourné autour du pot, et  fini par trouver le moment-clé : fin 1928. La demande de contrôle aux Mines pour la chenille P15N est déposée le 1er décembre 1928, la présentation devant ce service et l’acceptation sont du 6 décembre. A cette date, la carrosserie et le moteur sont déjà ceux de la C 6 : ce véhicule est étudié pour circuler librement dans les neiges inaccessibles à tout autre genre de véhicule, d’où le N de neige. L’équipement du train avant est composé de larges skis et d’un tasse-neige en duralumin ; le propulseur est à bandages légers de grande largeur (0,40m ce qui devait faire à l’échelle 6cm et non pas 4cm), et de grande longueur, le véhicule atteignant 4,85m sans skis (presque 70cm à l’échelle, en réalité mon prototype mesure 55cm). Une semi-maquette (mieux qu’un jouet, moins bien qu’une maquette), est à mon avis là pour donner à rêver, en fonctionnant comme l’original, l’important étant que les proportions soient respectées et la réalisation impeccable.

L’erreur initiale était de chercher la carrosserie stricto-sensu, la plupart de celles photographiées à l’époque étant tardives : des C6 logiquement. Ces C6 neige ont du voir le jour en 1929, et être distribuées au cours des années suivantes, sous forme berline, et torpédo : l’image du torpédo armé pour le rallye de Monte Carlo 1934, six ans plus tard, étant là pour l’illustrer superbement.

C’est Pascal Honegger qui m’a ouvert les yeux, grâce à sa documentation extraordinaire : Kégresse dès 1927, puis fin 1928 teste les premières chenilles acceptées par les Mines sur des prototypes fabriqués à partir de carrosseries B14. On se souvient (pour les spécialistes !) que la B14 a été acceptée par les Mines un an et demie auparavant, le 16 juin 1926 précisément, et que sa durée de vie a été courte, avant le passage au type AC4 le 19 juillet 1928. S’il restait des stocks de pièces détachées B14 en 1927, il était plus facile de céder à la demande de Kégresse de les équiper des nouvelles chenilles, plutôt que le faire sur les nouvelles C6, l’enjeu étant de les vendre en grand nombre aux automobilistes (de plaine), plutôt que de fabriquer de minuscules séries pour les montagnards et les pays nordiques, ce qui sera courant un peu plus tard.

C’est ainsi que la chronologie détaillée est la suivante :

1927 : premiers essais des futures chenilles neige avec un véhicule reprenant le capot et la calandre de la B14, la chenille est encore constituée d’un bandage sans fin en caoutchouc avec profil à chevrons. La jambe tendeuse en tôle ne correspond déjà plus aux types précédents K1, P4T et P7T.


Hiver 1927 – 1928 : les prototypes restent des véhicules 10 CV (moteur 4 cylindres), la carrosserie est toujours celle de la B14, mais la chenille est maintenant de type métallo-caoutchouc (bandage sans fin et assemblage d’éléments métalliques interchangeables).
Les trains de galets sont fixés à chaque extrémité recourbée de ressorts à lames. Ce que j’ai nommé « le balancier ». La poulie de traction avec son moyeu proéminent n’est pas définitive (déjà vue sur le P7 bis) et il n’y a pas de galet supplémentaire sur le dessus du balancier. Ouf ! la maquette est conforme ! (voir articles précédents ci-dessous).

02.01 :         trajet Chamonix – Hospice du Grand-Saint-Bernard (2469 m), deux autochenilles (5276 X9 et 5277 X9). Nous avons déjà rendu compte de cet exploit : http://babone5go.blogspot.fr/2011/01/plaque-dimmatriculation-5277x9.htm, mais nous n’avions les photos que de la première voiture. Voici maintenant la seconde. Ce sont toutes deux des voitures découvertes, sans trace apparente de capote. Comment faisaient-ils le matin pour ôter la neige tombée la nuit ? Il devait bien y avoir une bâche de protection ? Je l’imagine pliée à l’arrière, et posée à cheval sur le pare-brise et les sièges, pour mettre la voiture arrêtée à l’abri des intempéries ?


                      quelques jours auparavant, ascension du col de Voza (1650 m) au-dessus de St-Gervais.


col de l'Oberalp

11/19.02 :   présence et démonstrations aux Jeux Olympiques de St-Moritz  (trois voitures bleu et jaune selon l’Officiel de la mode n° 78 (fév. 1928) « Au mois de février, du 9 au 20, les Jeux Olympiques, qui ont lieu tous les quatre ans, y commenceront pour les épreuves de sports d’hiver…M. André Citroën, qui a compris la portée de pareille manifestation, a envoyé à Saint-Moritz trois autochenilles, qui, sur les pentes glacées, effectueront des démonstrations ». En voici quelques photos noir et blanc.



 avril 1928 :  Officiel de la mode n° 80 quelques jours après : « M. et Mme Citroën, et leurs enfants, au retour d’une excursion en autochenille. André Citroën est là, il se prodigue et sa présence est un sérieux appoint de propagande française. Ses trois autochenilles, dont les roues sont terminées par des skis, ont accompli les raids les plus difficiles, labourant les champs de neige où même les skieurs peinent. M. Jean Hennessy, notre ambassadeur, M. Schulthess, qui est président de la Confédération helvétique, en furent émerveillés d’enthousiasme. Bertrand de Pontavice, qui est à lui seul la moitié de la gaieté parisienne, s’est installé en permanence au volant de l’une d’entre elles. Mais le témoignage le plus convaincant pour le grand industriel et M. Kégresse fut celui d’Herr Conrad, le premier voiturier de Saint-Moritz, dont le nom s’épanouit à l’arrière des traîneaux, qui a, prévoyant une transformation prochaine de la circulation d’hiver, passé une importante commande. Au Bob, à la Cresta, André Citroën est partout, ses trois enfants patinent, tandis que sa femme bridge. La Coupe de France offerte fut la Coupe Citroën, son favori gagna le Derby et les plus jolies femmes furent … à ses dîners. La ville entière est pavoisée de bleu et jaune, ce sont, nous a-t-on dit, les couleurs de Saint-Moritz – ce sont aussi celles de la dix chevaux… Les Olympiades sont terminées, l’Engadine-Express, le train bleu des neiges s’en est allé, …Voisin de chambre une dernière fois, on dîne côte à côte. André Citroën occupe tout un wagon, l’Engadine si hospitalière fut inconvenante ce soir là, son ciel ne s’était pas, à l’instar de son collègue parisien, paré des deux chevrons … »

                       On imagine des véhicules de couleur sombre sur les photographies. On nous dit bleu-marine. Comme le train bleu des neiges en effet. Mais le jaune ?

il existe une photo semblable, mais sans l'ours blanc de l'arrière !

Les autochenilles poursuivent ensuite leur périple jusqu’à Briançon (800 km, une dizaine de cols). Là encore, on dispose de quelques photos. On dirait une fois de plus que les voitures sont sombres sinon noires. C’est la couleur que je vais choisir in fine. Avec des sièges en cuir bordeaux. Et si j’en ai le courage des filets sur le capot et les roues avant.


A Chamonix, des excursions sont organisées pour les touristes, avec l’autochenille du garage E.Vouillamoz. On dirait un torpédo à 6 places classique, avec capote. L’amusant, c’est la publicité derrière. Elle on l’imagine bien jaune ?


Plus tard, on retrouve tous les ans André Citroën et sa famille à Saint-Moritz : André se dépense ostensiblement avec des véhicules toujours plus sophistiqués, se rendant populaire en tirant les skieurs hors piste. C’est l’Officiel de la Mode qui continue de nous rendre compte de ces véhicules successifs, depuis les prototypes B14 de 1928 jusqu’aux C6 (écarlates) qui suivent dès 1929.

L’officiel de la mode n° 91 (mars 1929) : « La mode et le sport d’hiver à Saint-Moritz. Un précieux témoignage : Le prince héritier d’Italie au départ d’une excursion dans une six cylindres Citroën montée sur chenilles qui fit merveille dans les plaines de neige de l’Engadine. »

nous avons basculé : passage aux C6

L’officiel de la mode n° 103 (mars 1930) : « La vie mondaine, qu’elle soit de jour ou nocturne, se passe tout entière au Palace. Il est certes d’autres hôtels et presque tous excellents. Le Carlton a une clientèle magnifique, le comte Olivier de Rivaud et son gendre, le vicomte de Beaumont le quittent dans leur splendide autochenille écarlate. »
L’officiel de la mode n° 114 (fév. 1931) « Le bel hiver de St-Moritz :M. André Tardieu part en autochenille. L’ancien Président du Conseil est curieusement emmitouflé. On reconnaît autour de lui : M. Pierre Guimier, Directeur de l’Agence Havas et du Journal, Mlle Jacqueline Guimier, Mlle Mary Marquet, M. et Mme René d’Estainville, M. Kégresse, inventeur des autochenilles Citroën. Le béret basque carrément posé, tapant le sol de son bâton, un homme vigoureux quitte Suvretta House, hôtel rayonnant blotti dans la montagne. Le passe-montagne de laine moule son visage où le menton avance. Les lunettes voilent les yeux vifs – André Tardieu ne pense qu’à sa leçon de ski. Tout à l’heure au Palace, il aura retrouvé André Citroën et Pierre Guimier et l’autochenille écarlate moudra pour eux des kilomètres glacés ».

L’officiel de la mode n° 126 (fév. 1932) : « M. et Mme André Citroën, chefs de file de la colonie française, s’apprêtent à faire une promenade en autochenille. La famille Citroën aime la neige vierge, elle la cherche au loin dans ses autochenilles rouges ; M. André Citroën, qui, bien plus encore que M. Tardieu, pratique la bonne humeur, y convie avec enthousiasme ses amis – il a cette année, un invité de marque, M. Charlie Chaplin.
Charlot fait du ski, ce n’est pas le titre d’un nouveau film comique, car celui qu’on a appelé le Molière juif s’en tire fort bien. »
L’officiel de la mode n° 138 (fév. 1933) : « L’autochenille rouge de M. André Citroën emporte dans la montagne, vers la neige vierge les invités du grand constructeur qui par son assiduité et le rôle qu’il joue ici, mériterait, le premier, le titre de citoyen d’honneur, s’il était décerné. »

Finalement, il est donc légitime
 (il faut toujours rester légitime !)
de re-créer des Jouets Citroën à grande échelle 1/7° modèles B14 équipés neige,
 les vraies voitures ayant vraiment existé.

Après avoir (brillamment) fabriqué de nouvelles chenilles P15N, il était donc in-dis-pen-sa-ble de sortir la carrosserie.

Voici les premières vues des tôles issues récemment des presses, et déjà bien agencées, montrant le châssis avec ses garde-boues. Capot et cloison avant formant pare-brise. Et carrosserie arrière. Il manque les sièges qui vont encore changer l'allure, et tous les détails, il me faut bien une belle oeuvre à poursuivre dans le courant de l'année 2013 !


                                                                                   



C’est le prototype.

85 ans après, an nom d’André Citroën et d’Adolphe Kégresse, j’ai le plaisir de vous annoncer la sortie (dans quelque temps) du Jouet chenillé – neige radio-commandé : B14 - P15N.

L’hiver2012-13  étant passé, je reconnais m’être planté

mais je serai normalement prêt pour l’hiver 2013-14


P S : ai-je enfin fait le tour du sujet ? Voici les articles publiés depuis deux ans :

Merci encore à Pascal Honegger pour ses photos si rares !
et merci à Jean-Luc G. pour ses pièces introuvables et son exécution impeccable