mardi 4 septembre 2012

c'est la fête à Gaudens

La plaine de la Garonne est à la cote 356m, cote de la Villa romaine de Valentine. Pour accéder à l’oppidum sur lequel est bâti Saint-Gaudens, il faut aller à 401m soit 45m plus haut. C’est ce dénivelé qui justifie la célèbre côte du circuit automobile du Comminges dans les années 1928. Partout, cette côte au-dessus de la Garonne crée la même falaise parfois escarpée. Du coup, sortent en bas des résurgences, des sources, qui créent des zones détrempées où il faut mettre les bottes, comme la « source du bourreau » !


Est-ce l’origine du patois : Caoué : Crotté, mouillé; « J'ai été surpris par la pluie et je rentre tout caoué » qui est à l’origine du lieu-dit Caoue ? Entouré de sources d’eau, celles-ci sont canalisées vers la vallée et disparaissent rapidement. Mais elles créent toujours localement un site humide et détrempé, qui menace les fondations de la chapelle.

Un peu plus loin, existe un petit reposoir avec la statue de Saint-Pierre : un Montjoie. Le nom vient de "Mons Gaudii, proprement «montagne de joie; paradis»; nom donné par les pèlerins à la montagne de Rama située au nord-ouest de Jérusalem.  « Montjoie » est aussi le cri de joie des pèlerins apercevant la ville sainte. C’est devenu un cri de guerre au Moyen Âge. Mais c’est aussi un "monticule ou tas de pierre », comme son équivalent sémantique espagnol mojón, qu'il n’est pas sans rappeler. Peut-être descendrait -il du même étymon que moellon, à savoir le latin mutulus.



Nous sommes lundi 3 septembre, à la chapelle de la Caoue, construite en 1893 dans ce lieu détrempé. Pile au-dessus de la fontaine du bourreau. Je vous fais remonter le temps : nous sommes en 475, c’est la fin de l’Empire romain. Vous n’avez pas oublié le 4 septembre 476, date de l'abdication de Romulus Augustule, dernier empereur de l'Empire romain d'Occident, qui signe en effet ce tournant de l’Histoire. Les wisigoths sont descendus de leur Nord froid, et sont venus chercher le bonheur dans le sud. Ils arrivent de Lugdunum Convenarum qu’ils ont mise à sac, et s’attaquent à l’oppidum du coin, où ils tombent sur un jeune berger entouré de ses moutons.

Il a treize ans. Se nomme Gaudentius. Qui dit mouton dit ravitaillement, puis méchoui. Euric (ou Evaric), le roi des barbares, demande à Gaudentius d’adjurer sa foi chrétienne. (Comme s’il était obsédé de religion alors qu’il ne pense qu’à bouffer et violer entre parenthèses). Gaudens (qui ne comprend pas le wisigoth) refuse. Le roi ordonne à un soldat de lui trancher la tête. C’est lui le bourreau, et il lave plus tard son épée dans la source. Gaudens ramasse sa tête tranchée, la pose sur le monticule de pierre proche, qui deviendra le reposoir dit Montjoie. Et il continue de filer ainsi débarrassé vers la chapelle du Mas Saint-Pierre, aujourd’hui le Centre Ville, dont il ferme la porte. Le meurtrier le poursuit à cheval, et tente de forcer la porte en faisant tourner sa mouture, et en la faisant ruer dans la porte où apparaissent les marques des fers (du cheval). On ne sait pas ensuite comment Gaudens récupère sa tête, toujours est-il que ce miracle en fera un Saint. Saint-Gaudens. Le voici dans la Collégiale avec sa tête récupérée. Ouf ! Quelle histoire !




Une variante de la légende affirme que l’envahisseur serait Sarrasin (intégriste vraisemblablement) Abd-el-Rahman. Sinon, les autres épisodes de l’histoire sont analogues.  L'évêque expulsé de ce qui est aujourd’hui Saint-Bertrand de Comminges, où l’on trouve bien une église paléochrétienne,  se réfugie alors dans la même chapelle.  Une communauté religieuse se forme. Une église et un monastère sont construits vers le VIIIème siècle, les religieux suivant les règles de vie de saint Chrodegand. Ce qui était à l’époque un bourg prit son nom actuel au IXème siècle, Castrum Sancti Gaudentii, en raison du culte développé autour du martyr, et de sa mère, Quitterie.

 





Au XIème siècle, la communauté religieuse se donne le statut de chapitre collégial. L'église, est reconstruite en s'inspirant de la Basilique Saint-Sernin de Toulouse (en plus petit quand-même). On conserve le gros œuvre des débuts de la construction de 1084, on commence à édifier les tribunes dans les deux premières travées du chœur. La voûte est surélevée. Des tailleurs de pierre venus d'Aragon et de Navarre sculptent les chapiteaux de la deuxième travée du chœur. Entre 1180 et 1185 on édifie au sud de l'église le cloître. L'évêché du Comminges est à son apogée : il s'étend du Val d'Aran à Muret, de l'Isle en Dodon à Saint-Lizier avec évêchés, riches abbayes, châteaux comtaux, seigneuries et premières villes autonomes. Il tient sa place entre ses puissants voisins comme le Comte de Toulouse et le roi d'Aragon.

















En 1160, l'hôpital des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem est créé. Une charte de coutumes est accordée par Bernard IV, comte de Comminges aux habitants en 1202 (elle sera confirmée en 1345). En 1212 puis en 1216, la ville accueille les croisés de Simon IV de Montfort. Le XIIIe siècle est une période où la cité devient une place marchande. L'absence de fortifications se fait sentir et des défenses sont érigées (sous la forme de murailles et de fossés, avec deux portes).


Le pape Clément V, ancien évêque du Comminges, rend visite à la ville le 13 janvier 1309 et reconnaît dans une bulle du 20 janvier le caractère authentique des reliques, tout en accordant de nombreuses indulgences pour encourager les pèlerinages au sanctuaire.

Le XIVe et le XVe siècle sont marqués par une crise économique assez profonde en raison de guerres (guerre civile, guerre étrangère). La ville subit ensuite les outrages dus aux guerres de religion, malgré les travaux entrepris pour compléter ses défenses au XVIe siècle (une seconde enceinte munie de cinq portes est construite suite à la croissance des faubourgs hors les murs) : le 2 août 1569, la ville est prise par les huguenots menés par le comte de Montgommery. Les archives de la ville sont incendiées, l'église et le marché sont saccagés et pillés. Une partie des reliques est cependant sauvée en étant mise à l'abri dans l’église voisine de Mondavezan. L'arrivée du maréchal de Matignon permet aux catholiques de reprendre la ville peu après.

À la Révolution, en 1791, l'église désaffectée est vendue comme bien national. Le cloître est démoli pour servir de carrière de matériaux. L'église est rendue au culte en 1804. La collégiale sera restaurée progressivement à la fin du XIXème siècle. La toiture à deux pentes est remplacée par un toit à décrochements suivant la nef et les bas-côtés. La base carrée du clocher est rehaussée pour lui donner son aspect actuel. Le cloitre est vendu à des collectionneurs américains, avant d’être reconstruit avec des vestiges mis de côté ou reproduits.


La collégiale présente une nef à collatéraux, avec une longueur totale de 40 m, une largeur de 21m, et une hauteur sous voûte de 16 m. Saint-Sernin mesure 115m !  La nef se compose de cinq travées inégales, sous une voûte en berceau sur doubleaux reposant sur des piles cruciformes, avec des colonnes entre les grandes arcades et vers la nef, et un pilastre vers les collatéraux, qui sont, eux, voûtés en quart de cercle.

Trois grandes tapisseries des Gobelins, signées Guillaumichon, ornent les murs. L’une d’elles représente le martyre de Gaudentius, et nous montre la Caoue en 475. On devine les fortifications créées depuis, et la collégiale. L’endroit n’a qu’à peine changé. Ce sont les mêmes vaches. Et la source du bourreau coule toujours.

















En 2013, on a prévu de fêter les 120 ans de construction de la chapelle. Les vitraux du verrier toulousain Gesta devraient être refaits. Si toutefois on trouve les crédits pour ? Finalement, il vaut mieux vivre en 2012 (avec la crise) que dans les années 475, avec ces terribles barbares germaniques … !

Rendez-vous au 3 septembre…dans un an !


Radovan Richta (1924 - 1983), philosophe Tchèque, soutient que la technologie est le ressort de l'histoire. Aussi défend-il l'idée que l'utilisation du fer à cheval par les tribus barbares à partir des années 200 a modifié l'équilibre militaire de la Pax Romana, et a participé à la chute de l’Empire. Cette histoire de ruade et de marque de fers dans la porte est donc tout à fait pertinente !