mardi 27 mars 2012

Falguière à Rouen...


...et la Fontaine Sainte-Marie

Dimanche 26 octobre 1879 ! Un article de journal conservé pieusement dans un album relié de la bibliothèque (de famille) : « les fontaines de Rouen ». L’article titre sur « les eaux de Rouen ».  Il s’agit de conforter de manière significative la desserte en eau potable de la ville, et on a dérivé de nouvelles rivières, le Robec et l’Aubette, pour stocker leur eau dans un nouveau château d’eau, un réservoir plutôt, place sainte-Marie.















A l’époque on adore les monuments, et on ne peut lancer une œuvre aussi considérable que le renforcement de la distribution de l’eau en ville sans marquer les esprits des contemporains et des générations futures par un monument, compensant par sa grandeur l’invisibilité des grands travaux inaccessibles aux foules laborieuses puisque enfouis dans le sous-sol !


Il fallait donc que des eaux jaillissantes interviennent comme élément prépondérant : il fallait une fontaine, mais quelle fontaine !

On lance ainsi un concours national, et parmi les nombreux projets présentés, celui de Monsieur Falguière (de Toulouse donc) est adopté par la commission chargée de fixer le choix de la ville. La conduite des travaux est confiée à Monsieur de Perthes architecte, la première pierre posée le 10 octobre 1876. La masse du monument est imposante, et la cascade tombant dans une vasque à double déversoir rappelle bien le but utile poursuivi en amenant là une eau pure et abondante, qui doit distribuer la santé et l’hygiène à une nombreuse population.


Au sommet d’un monument de 20 mètres de haut sur 40 mètres de large se dresse la statue de Rouen qui, de la main droite levée et étendue, assure à ses enfants la protection et la paix tandis que de la main gauche elle tient le flambeau qui éclaire et dirige. Dans un plan un peu inférieur, elle est accompagnée des génies du commerce, de la science, de l’industrie et des arts, avec leurs attributs conventionnels : le caducée, le compas, le style et le marteau.


 
Ce groupe principal repose sur la proue d’une nef antique, cette nef rouennaise qui ne sert pas seulement aux relations commerciales entre l’Ile de France et l’Océan, mais que nos aïeux ont maintes fois armée de canons et de vaillants hommes de guerre pour les conquêtes lointaines ou la défense du pays, et qui dans la composition présente semble encore naviguer sur les eaux de Rouen. Le génie de la navigation apparaît ainsi, et rappelle notre fleuve, la Seine, « ce grand chemin qui marche à nos pieds », et met notre cité en relation directe avec les parties les plus reculées du Globe.

A droite de la composition principale, une jument au repos, la tête dressée et son poulain, sont présentés par un adulte revêtu du sarreau gaulois : groupe figurant l’industrie de l’élevage du cheval, qui profite aux travaux publics aussi bien qu’à la guerre.


 
A gauche, un autre groupe, formé d’un taureau debout, d’une vache couchée et d’un toucheur de bœufs ou pâtre, représente cette autre industrie agricole, non moins féconde, de l’élevage de la race bovine.

En retour de ces deux groupes, deux enfants, au torse torturé, appuyés chacun sur un dauphin, rappellent les deux petits cours d’eau sinueux de Robec et d’Aubette, ces nourriciers de la première culture, et de la primitive industrie de la cité aux temps antiques….

Quant à la face extérieure donnant au nord, …on y trouve une grotte qu’occupe une figure de nymphe ou de baigneuse accroupie, qui rappelle le motif aquatique du monument.


 
Là ou cela devient amusant, c’est que des poèmes en alexandrins sont écrits pour saluer au moment des agapes le génie de cette réalisation. Mais tous ne sont pas d’accord, et des critiques s’interrogent sur toute cette agriculture au milieu de ce qui devrait rester une simple (si l’on peut dire) fontaine !

Et on peut ainsi lire :

…Qu’importe qu’une main malhabile
L’ait sottement orné de figures sans style,
Et fasse poser là, comme un étal de chair,
Des bestiaux primés au Marché Saint-Sever ?
La sculpture n’est rien qu’une forme incertaine,
C’est l’eau seule qui fait avant tout la Fontaine.
Si l’art de notre temps dégénère et s’en va,
Si l’idéal d’un long cauchemar énerva
Ne vole plus si haut dans l’azur de l’espace,
Ne nous effrayons pas, le mal est ce qui passe.

Et ce qui reste ici, jeune immortellement,
Ce qui demeure tel qu’à son commencement,
C’est l’eau fraiche et limpide, en gerbe épanouie….
…etc…il y en a ainsi trois pages….

Aujourd’hui, on construit en béton

Et on se garde bien

De mettre des statues, quand il est si facile

De ne décorer rien